Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/12

Cette page n’a pas encore été corrigée

AGNOSTICISME

8

I

en concédant dans la Critique du Jugement, §86, qne la croyance à Dieu nous le préscnle comme omniprésent, éternel, juste, bon, intelligent et voulant, cependant il n’admet pas de relation intime entre Dieu et nous et rejette la prière (Iliaxzi ; . dans Realencrclopiidie de Herzojr, 3e éd., art. Tlieismus, p. 692). Quoi qu’il en soit, on a cent fois remanpié avec raison qu’il y a quelque contradiction à admettre, même comme hypothétique, parla croyance, un Dieu intellij^ent, qiumd la raison spéculative découvre les antinomies que l’on sait dans Vens i-ealissimuin. Or c’est un axiome dérivé de l’expérience : Violentum non durât ; et l’histoire de l’athéisme depuis Kant ne fait que confirmer cet axiome. De plus, si le disciple de Kant veut avoir une religion, il faut de toute nécessité qu’il admette que la croyance non seulement nous présente Dieu connue personnel, mais que cette idée est représentative : en d’autres termes, pour qu’il y ait religion, il faut que le croyant tienne pour certain que Dieu est réellement, indépendamment de notre manière de le concevoir et de nous le représenter, vivant, intelligent et libre. Or le disciple de Kant ne peut pas, sans renier la métliode critique, porter de jugement sur la nature des choses en ellesmêmes. Le sentiment religieux n’aura plus de refuge cjue dans la philosophie spéculative : et c’est le panthéisme ; ou bien il tom-nera an mysticisme de la gnose, des néoplatoniciens, des souiis, de Molinos, etc. C’est encore ce que nous avons sous les yeux. — h) Laissons de côté le kantisme, qui est bien démodé, j)uis<pie tant de gens prétendent le dépasser ; il reste qu’en vertu môme des prémisses du système qu’il admet, l’agnostique se trouve désarmé en face des objections accumulées depuis Kant par l’athéisme dogmatique. Qu’il lise en effet qne l’idée de Dieu est contradictoire, à cause de la répugnance entre l’infinité et la personnalité (Strauss), à cause de la réjjugnance entre l’infinité et la perfection (Vacherot). à cause de l’existence du mal qui exclut de Dieu ou la toute-puissance ou la bonté (Stuart Mill) etc. ; l’agnostique ne peut rien tirer de sa philosophie pour résoudre tous ces sophismes ; et il est à prévoir que peu à peu ils obscurciront en lui l’idée de Dieu commune à toute l’humanité. — c) Que si l’agnostique cherche à réaliser cette idée spontanée et naturelle de Dieu, il se trouvera de nouveau à peu près infailliblement engagé dans Terreur. Il a, par l'éducation ou en vertu d’un raisonnement dont il a perdu conscience, l’idée d’un être supérieur au monde, auteiuet gardien de la loi morale etc. ; mais sa philosophie lui interdit de se légitimer rationnellement la notion traditionnelle, de penser à nouveau les prémisses de ce raisonnement ; à plus forte raison l’empcche-t-cUe de passer de la notion de Dieu c^ui suffit pour commencer la vie morale et religieuse, à l’idée philosophique de l'être nécessaire et parfait. — d) Et s’il passe par-dessus toutes les barrières que la méthode agnosticpie a établies entre lui et la connaissance réfléchie et philosophique de Dieu, selon qu’il aura développé sa philosophie dans le sens du monisme ou du phénoménisme, il fera de Dieu soit une loi abstraite, la catégorie de l’idéal (Taixe, Rkxan), soit « cette espèce d’anima /nundi pensant en chacun de nous au lieu de nos âmes individuelles » (W. James, Principles. t. l, p. 346) ; ou bien il tombera dans l’une des nombreuses variétés du panthéisme proprement dit (Hébert). Et de nouveau c’est, au fond, l’aliiéisme. — e) Admettons — cela se voit — que l’agnostique évite tous ces faux pas, et reste l’aniinal religieux que nous sommes ; u la force inconnue et inconnaissable » à quoi il adressera son culte, pourrat-elle longtemps rester l’objet de ses hommages ? Et de quelle nature sera ce culte ? de quelle efficace pour

sa vie morale ? Les Athéniens, devant l’autel du Dieu inconnu, pouvaient croire ce Dieu réellement bon, juste, etc. ; du moins sacrifiaient-ils à un être qu’ils croyaient supérieur à ses adorateurs. Chacun des dévots de rinconnaissal)le n’a pas même le droit

— sans illogisme — de tenir pour supérieur à soi l’objet de son culte. « L’homme est un roseau, mais un roseau pensant » ; et on ne Aoit plus ce qne peut être le culte du « roseau pensant » pour « la force dont l’univers est la manifestation », à moins que ce culte ne se réduise à « l'émotion cosmique » prônée par Clifl’ord. Mais nous voilà en plein athéisme, et dans la pire des idolâtries. — Aussi, de même que nous ne saurions blâmer les écrivains cjui réfutent l’agnosticisme ex ahsurdo par ses consécjuences et ses préjugés monistes ou phénouiénistes (ÂIaher, Psychology, London, kjoS, p. 52^), ou par son insuffisance religieuse (Picard, Chrétien ou agnostique, Paris, 1896) ; on ne peut que louer les philosophes qui, dans l’agnosticisme, attaquent surtout l’athéisme (Hor.DDFAi, Raturai theology, London, 1891, p. '^6). Ce n’est malhein’cusement pas îi un adversaire imaginaire que s’en prennent tous ces apologistes. Cf. l’Encyclique Pascendi, § Redeamus sqq.

Il reste cependant nécessaire, si l’on veut parler de l’agnosticisme conformément à l’ensemble des faits et sans mêler toutes les cjuestions les unes avec les autres, de distinguer l’agnosticisme et l’athéisme. L’Encj’clique Pascendi fait elle-même cette distinction deux fois : la première, ^Jani ut a philosopho. quand elle parle de l’ignorance de l’agnosticisme el de la négation de l’athéisme ; la seconde, § Equideni nobis, quand elle parle du passage du protestantisme au modernisme, du modernisme — le contexte indienne cju’il s’agit de l’agnosticisme des modernistes

— à l’athéisme.

a) L’agnosticisme et l’athéisme ne sont pas deux doctrines identiques, puisque plusieurs de nos contemporains sont athées pour des raisons qui n’ont rien à Aoir avec l’agnosticisme. Dans un article sur le positivisme, écrit pour le A’oui’eau Dictionnaire d économie politique de Léon Say (Paris, 1892, t. II, p. 531), Mme Clémence Royer constatait que « pas plus que Kant, Comte n’entendait nier absolument l’existence d’un suhstratum des choses, d’un noumène intelligible, conçu par l’esprit sous les apparences phénoménales ». Comte soiitenait seulement cjue « si ce substratum existe, il est pour nous inconnaissable ». L’auteur argumente ensuite contre Kant, puis contre Comte ; il essaie de prouver que « la cause substantielle d’Aristote, la cause permanente des phénomènes, leur substratum nécessaire, immuable dans leiirs changements, peut être connu de nous par induction ». De tout cet intellectualisme, voici la conclusion athée : « C’est donc absolument sans droit qne Comte a déclaré les causes premières inconnaissables, puisque, comme causes substantielles, nous pouvons arriver à les connaître par induction, et que les causes premières libres, n’existant pas, ne peuvent être objet de connaissance. Il faut les nier tout simplement, et non pas les proclamer existantes, mais inconnaissables. Ce n’est pas leur connaissance cjui est impossible, c’est leur existence, en Tertu même des lois logiques de la pensée. » Là où d’autres argumentent : « Notre esprit renfermé dans les limites des sens ne saurait franchir ces bornes jiour s'élever à la hauteur de l’idée de la cause première libre », Mme Royer observe que « Comte n’a pas su résoudre les sophismes des antinomies kantistes » : ces sophismes, elle les résout pour son propre compte comme Stuart Mill a résolu ceux de Hamilton et de Mansel (La philosophie de Hamilton, Paris, 1 869) ; el elle affirme avec Buciixer et Moles-