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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

plongé dans la poitrine de la négresse, réfléchissait aux événements de la nuit. Il aimait cette poitrine opulente et flasque qui l’avait nourri dans son enfance et maintenant s’offrait à ses baisers.

Tout en méditant, il s’amusait à tirailler les petites nattes qui ornaient la tête de Hawa et il en compta une trentaine.

— Hawa, dit-il enfin, Hawa, tu ne veux pas causer un peu ?

— Je suis morte, mon chéri, minauda la négresse.

Quoique depuis vingt-cinq ans elle eût entouré Goha d’une affection toute maternelle, elle tenait avec aisance son nouvel emploi. Il avait suffi d’une étreinte pour détruire son passé de nourrice et faire d’elle spontanément une grande amoureuse. Aussi à l’appel de Goha se fit-elle câline, croyant à des exigences auxquelles elle avait hâte de se soumettre. Mais avertie sur l’art de séduire, elle répéta avec une pudeur toute féminine :

— Je suis morte, mon chéri, je suis morte. Goha ne répondit pas à son attente. Il se remit à lui tirailler ses nattes, ne voyant plus dans cette femme, dont les caresses puissantes l’avaient exténué, que la conseillère prudente qui tant de fois l’avait secouru dans la vie. Ce geste familier attrista la négresse, parce qu’il la ramenait au passé qu’elle croyait à jamais aboli.

Des pensées confuses assaillaient Goha. Il ne gardait qu’un souvenir vague des émotions qu’il