l’un m’appelle mulet, et l’autre m’appelle taureau !… »
Il arriva enfin à un petit hameau, situé au bord du Nil. Le visage morne et ruisselant, il s’assit sur la rive du fleuve. Devant lui Ghézireh, l’île de Boulaq, semblait une immense embarcation, arrêtée soudain dans sa course. Sous le ciel phosphorescent, c’était un convoi de palmes immobiles. Les stippes des dattiers qui s’élançaient au-dessus d’une végétation grise, comme les barreaux d’une grille, divisaient l’île dans toute sa longueur. Des nopals, des bananiers en loques ternis par le sable des khamsins, quelques acacias formaient ça et là des coins d’ombre. Ghézireh reposait inerte dans l’atmosphère embrasée. D’un sycomore, avec un cri, un épervier s’envola.
Au delà de l’île, s’étendaient les plaines basses de Ghizeh. Après la triple récolte, durcies par le soleil, elles avaient été envahies par la crue du fleuve, Un vaste lac s’était formé. D’abord épais et jaune, il avait peu à peu déposé son limon. Goha, la main en visière, contemplait la nappe chatoyante et bleutée qui s’allongeait jusqu’aux plaines du désert. Le profil des pyramides s’y reflétait comme dans un miroir. Quelques arbrisseaux aux longues feuilles pendantes, des arecs émergeaient ; des villages entiers étaient pris dans le mouvement des eaux que troublait par instants le pas du fellah, du cheval, du chameau regagnant le foyer. Des becfigues volaient sans bruit.
Un enfant nu, d’une dizaine d’années, portant des avirons sur ses épaules, passa devant Goha et