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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

Goha saisit sa gallabieh, se l’enserra autour des jambes avec rage.

— Non, grogna-t-il.

— Alors, je vais t’étrangler, riposta calmement le vendeur.

Sayed éprouvait une haine invincible pour le fils de Hadj-Mahmoud-Riazy. Une voix lui soufflait « Tue-le ! Tue-le !… Écrase-le donc ! » Et cette voix intérieure on eût dit que les spectateurs l’entendaient, car ils intercédèrent, d’abord faiblement :

— Ça ne fait rien, ça ne fait rien… laisse-le…

— Pourquoi plaisanter avec lui ? Tu vois bien que c’est un idiot.

Autour du cou de Goha, les doigts se desserraient, se refermaient. L’homme était tour à tour séduit et effrayé par l’idée du crime.

— Tu vas te fatiguer pour ce taureau… Viens plutôt boire une tasse de café avec nous…

À cette intervention d’un de ses amis, tout le fiel du fellah se déversa dans un éclat de rire factice. Il lâcha Goha et lui donnant un coup de pied dans le dos :

— Va, cria-t-il, tu es un âne et je me suis moqué de toi !

Libéré, Goha s’éloigna tandis que la foule s’évertuait à consoler le marchand. « J’ai bien fait de ne pas leur montrer mon derrière, songea Goha en souriant, parce qu’ils auraient dit que je suis une fille des rues. »

Le soleil qui dardait sur son échine fouillait les immondices accumulées en tas devant les portes.