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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

sait d’un pas rapide entre les charrettes, contournait les groupes, inattentif aux cris des vendeurs, aux jurons des âniers, aux lamentations des estropiés et des aveugles.

— Fils d’une pantoufle, où vas-tu ?

— Je ne t’avais pas vu, balbutia Goha.

— Parbleu ! Quand tu te promènes, tu emportes ta bêtise et tu oublies tes yeux.

— Que ta journée soit propice, dit Goha.

C’était Sayed, le vendeur d’oranges. Vêtu d’une gallabieh de cotonnade bleue qui découvrait ses jambes musclées et bâillait sur sa poitrine, il était avec cinq de ses confrères. Il avait déposé sa couffe encore pleine et son pied boueux s’appuyait négligemment sur les fruits d’un rouge fulgurant sous le soleil de midi.

— Que ta journée soit propice… que ta journée soit propice, imbécile ! fit-il contrefaisant la voix de Goha et encouragé par le rire des marchands, des mendiants accourus pour assister à la scène, et des enfants qui pour mieux voir se faufilaient entre les jambes, complètement nus, avec des ventres rebondis. Il prit la nuque de Goha dans la paume de sa main :

— Tu es un joli garçon, Riazy… Bien potelé, bien rond, bien nourri… Joli garçon, par Allah, joli garçon…

Les assistants ricanaient déjà, réjouis par la mine de Goha et désireux de complaire à Sayed dont la carrure solide les impressionnait. Celui-ci caressa la moustache noire, très fournie qui barrait son visage et qu’il redressait à l’instar