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tion. Tout à tour mercier, marchand de tabac, repasseur de fez, bimbelotier, Goha avait accumulé les désastres pécuniaires, jusqu’au jour où, pour ne pas se déshonorer totalement par l’oisiveté, il tomba dans la situation de restaurateur ambulant.

— Même cela… Même cela… dit Mahmoud en portant la main à son front.

Son regard se posa sur les filles, les neuf filles qui avec Goha et ses trois épouses représentaient sa famille. Le sort de sa maison ne s’annonçait pas prospère. Il se rappela l’ironie de ses clients chaque fois qu’un enfant lui naissait :

— Alors Mahmoud ?

— Une fille…

— Ah ! une fille ?… et on lui donnait des tapes amicales sur l’épaule.

Aux premières on l’avait plaint… À la douzième, trois étaient mortes, on s’était abordé dans les rues pour se communiquer la nouvelle avec des sarcasmes et d’hypocrites consternations.

Mahmoud songea douloureusement à l’orgueil que ses amis dissimulaient mal en lui présentant leurs grands fils déjà cheiks ou à la tête d’un commerce. Il espérait quand même dans la miséricorde du Tout-Puissant pour obtenir un digne continuateur de ses œuvres. Mais devant toutes ces petites tresses, tous ces visages qui se ressemblaient, il se demandait s’il n’était pas maudit dans sa descendance. Étaient-elles bien à lui toutes ces créatures qui n’avaient pas répondu à son vœu ? Elles ne lui inspiraient aucun sentiment, il les connaissait à peine, il confondait