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lune dans mes bras et je la presserai sur mon cœur et je lui dirai : « Lune, lune… » et je lui redirai : « Lune, lune… petite lune… »

Il était si fatigué et il avait tellement faim qu’il se reposait sur sa fatigue et se nourrissait de sa faim. Depuis une demi-journée, il tournait en rond autour d’un pâté de maisons, mais son esprit montait dans l’espace et ses yeux fixaient les étoiles. Tout à coup, il vit quelque chose d’extraordinaire.

Une porte s’était ouverte découvrant une fumerie de haschich. Suffoqué, ébloui par le flot lumineux et odorant qui brusquement en avait jailli et l’avait submergé, Goha eut le sentiment d’être accueilli dans un monde nouveau, organisé, au terme de son voyage, pour son repos et pour sa récompense. C’était donc vers cela qu’il marchait depuis si longtemps ! Il respira à grands traits l’odeur perverse du chanvre et, s’avançant d’un pas, aperçut à travers un brouillard bleu des formes étendues. Il se dit : « Lequel est Allah ? lesquels sont les anges ? … » Car ce qui s’ouvre devant lui ce n’est pas une salle enfumée au plafond bas, mais un univers paisible préparé comme un lit éternel pour l’éternel repos des êtres. Autrefois, au temps de son insouciance heureuse, il avait cru à un paradis peuplé de femmes lascives, de voix enchanteresses, d’arbres fruitiers et de fleurs. Mais ce paradis n’eût pas été le paradis puisqu’il eût fallu grimper sur les arbres pour cueillir les fruits, se baisser pour cueillir les fleurs et se briser les reins avec les femmes.