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Il mangera les deux et il mangera aussi la tête…

Un homme était devant lui. Il reconnut la face noire et les yeux graves de Khalil, le portier de Cheik-el-Zaki. Goha le regarda méchamment et s’éloigna, emportant avec lui des odeurs de viande grillée, d’ail et de friture. L’odeur de friture fut la plus persistante et bientôt elle fut seule à emplir ses narines.

— Hé ! hé ! fit le marchand de poisson frit qui remuait sa poêle, te voilà bien changé ! … Il y a longtemps qu’on ne te voit plus !

— Que ta journée soit bénie…

— D’où viens-tu ? Tu ne viens pas de chez ton père ? … J’ai causé l’autre jour avec Kellani, votre portier… Hadj-Mahmoud, paraît-il, veut t’égorger… Il a le sang chaud, que Dieu le bénisse ! … Depuis qu’il a su…

Le marchand cligna de l’œil.

—… Que tu t’es fait le souteneur d’une négresse, il a envisagé plusieurs moyens de t’exterminer… Quand, sur les supplications des femmes, il renonce à te pendre, il veut te brûler ; quand il renonce à te brûler, il veut te lapider… En ce moment, il songe à te trancher le cou. Ha ! Ha ! Ha ! … N’importe ! il pourrait bien te pardonner à l’occasion du mariage… Ah ! tu ne sais pas que ta sœur aînée se marie avec un riche propriétaire, fils d’Abdallah le Borgne qui est mort l’an dernier. Son sang s’était changé en eau… On parle de cinq mille feddans… C’est un beau mariage…

Goha regardait les tranches de poisson frit que le marchand rangeait sur une plaque de marbre.