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— Il est là, le gros canard ? demanda Sayed d’un ton doucereux.

— Oui, Sayed… oui, le gros canard, balbutia Goha.

— Et toi, que Dieu le veuille, tu te portes bien ? reprit le vendeur d’oranges.

Toutes ces politesses augmentaient la confusion de Goha.

— Un pétale de rose ! dit Sayed en lui touchant affectueusement la joue.

Goha frémit à ce contact et il eut la certitude que son gosier s’était fermé, que désormais il ne pourrait rien avaler. Tremblant, il voulut répondre « Que Dieu te bénisse Sayed !… » Mais les mots ne venaient pas, de grosses gouttes de sueur perlaient à son front.

— Goha ! cria la négresse de sa chambre, tu mangeras tes fèves plus tard.

— Bien, ma nourrice, quand tu voudras, répliqua Goha précipitamment.

Des prostituées étalées en rond sur le seuil de la maison prenaient leur premier repas. Elles occupaient en partie la chaussée. Parfois un ânier les interpellait rudement, elles lui répondaient par des injures ou des agaceries.

— Ah ! te voilà ! s’exclama la Syrienne aux cinq rangées de sequins en voyant Goha s’avancer timidement vers le groupe. Et ta fille ?

— Elle dort, dit Goha.

Il regardait avec envie le bol de fèves qu’elle tenait dans son giron et où elle venait d’écraser deux œufs bouillis. La Syrienne surprit sa con-