jusqu’à la porte, le poussa dans le vestibule et, soulevant la lourde tenture, il ajouta :
— Amuse-toi bien !
De nouveau les rideaux rouges se refermèrent.
Goha avait assisté à la dispute sans bouger. Ordinairement, il ne s’intéressait à ce genre de spectacle que lorsqu’une parole ou un geste excitait sa gaieté. Il ressentait alors la griserie du tumulte, le besoin de se dépenser dans des mouvements désordonnés et fous.
Quoique la scène entre Sayed et l’Effendi lui offrît maints éléments de gaieté, la pensée même que l’on eût pu rire en cette circonstance l’eût stupéfait. Le regard fixé sur les deux hommes, il éprouvait une émotion intense. Son cœur battait à se rompre. Là où il ne saisissait d’habitude que le désordre, il voyait le drame et il s’en sentait nettement le point central comme si du résultat de cette querelle dépendait son propre sort. Sans qu’il s’en rendît compte, il était en sympathie avec l’Effendi, il espérait que celui-ci réduirait à merci le vendeur d’oranges. Déjà dans sa jambe s’esquissait le coup de babouche qu’il appliquerait à Sayed au moment où il roulerait dans la boue, terrassé par son adversaire. Lorsqu’il vit que l’Effendi avait cédé, un cri s’étouffa dans sa gorge et lorsqu’il se retrouva seul dans la rue silencieuse avec, en face de lui, le mystère rouge des rideaux, son trouble devint de la terreur.
Il voulut fuir, mais un fardeau pesait sur ses genoux. Il s’apprêtait à le rejeter sur la chaussée… Ses bras hésitèrent… La petite fille endormie avait