âme est bien hypocrite, dit-il froidement, sans se rendre compte qu’il affirmait ainsi l’évidence.
Dix jours auparavant, il avait appris par le wékil de ses terres de Menoufieh que le ruisseau qui traversait ses domaines avait été détourné par les gens de Mohamed Riffa vers le milieu de son parcours. Le domaine voisin offrant une dépression, la totalité de l’eau s’y écoulait et une partie de ses propres terres était menacée de sécheresse. Cheik-el-Zaki était allé se plaindre à Mohamed Riffa de cet empiétement sur ses droits. Celui-ci lui avait affirmé qu’il s’attendait depuis longtemps à voir le ruisseau pénétrer dans ses propriétés, car il accusait déjà, l’année précédente, une tendance à changer de cours. « Je suis navré, avait-il ajouté, que l’événement me favorise à vos dépens. Ce qui me console, c’est que dans cette affaire je ne vois que la réalisation du destin. » Il avait conclu : « Cependant je vous aime tant, illustre maître, que si l’accident vous afflige, je vous ferai le sacrifice de mon avantage. J’élèverai une forte digue sur mon terrain et le ruisseau vous sera rendu. »
Le visage d’El-Zaki s’empourpra au souvenir de tant d’hypocrisie et il décida de traîner devant le Cadi son malhonnête compétiteur. Il devait auparavant faire le voyage pour inspecter le terrain litigieux.
— J’irai, je me rendrai compte, balbutia-t-il, Mohamed Riffa est un voleur !
Cependant la perspective d’un voyage de deux jours, d’un débat devant le Cadi le fit hésiter :