Ne recevant pas de réponse, il asséna sur le mufle de l’âne un coup de poing qui le mit au galop. Ce qu’il avait fait avec le premier dromadaire, l’âne le fit avec le second. Un nouveau chamelier dut intervenir et, procédant à l’instar de son confrère, expédia l’incorrigible bête en avant. Poussée de l’un à l’autre, elle se trouva enfin en tête du convoi et tourna brusquement dans un chemin latéral. Une demi-heure après, elle avait amené son maître dans le quartier populeux et bruyant des prostituées.
Goha songeait à la veille. Autour de lui, comme une présence, flottait la seconde nuit d’amour. Sa conscience oscillait entre deux mondes, celui qui s’ouvrait par un matin clair, celui qui s’abritait dans la pénombre de son souvenir.
Incapable de choisir entre le rêve et la vie, il se maintenait dans un milieu étrange, qui n’était ni l’un, ni l’autre. La rue était mobile, les ornières qu’il évitait en se cramponnant à la queue de son âne, étaient des abîmes ou des montagnes indifféremment. La façade des maisons était illusoire, il avait la certitude qu’il pourrait passer à travers. Les hommes minuscules à quelques pas devenaient immenses lorsqu’il les côtoyait. Une écorce de melon sur la chaussée avait la grosseur d’un bœuf et la poutre qui maintenait le balcon d’une maison était mince comme une paille. Il éprouvait dans les mollets une douleur qui lui semblait étrangère à lui. Il la foulait aux pieds en marchant. Et il croyait sentir des trous béants dans son corps. « Ce sont des outres », songeait-il. Distraitement