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invinciblement attiré par les prunelles d’un bleu si profond qu’elles lui donnaient le vertige, comme des abîmes. À son insu, dressé sur les coudes, il se rapprochait progressivement de ce foyer d’attraction. Nour-el-Eïn crut qu’il réclamait une caresse. Elle lui donna un baiser sur les lèvres, et l’enchantement cessa.

Il se mit sur son séant, tandis qu’elle demeurait étendue, et posa le doigt sur le pied de Nour-el-Eïn.

— Voici, dit-il, avec une gaieté fébrile, c’est ton pied !… le voici…

Il prit la main de Nour-el-Eïn, la caressa et dit enthousiasmé :

— Ça, c’est ta main !

Elle était déconcertée et charmée en même temps de cette admiration naïve. Elle avait préparé, pour le séduire, des gestes et des mots qu’elle sentait inutiles à présent. Ayant compris la vanité des artifices, elle rentrait dans la simplicité de son amour.

— Comme tu es beau !… dit-elle en serrant Goha sur son cœur.

De ses longs mois d’attente, de ses dépits et de sa haine, elle ne gardait qu’une empreinte qui s’effaçait peu à peu. Goha que, dans son indignation, elle avait cru terrible et cynique, appartenait à une race plus humble. Loin de s’atténuer au contact de tant d’innocence, sa passion se faisait riante et libre. La faiblesse d’esprit qu’elle pressentait chez Goha l’attachait à lui comme à une jolie bête apprivoisée.