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entouraient ce maître, inclinées un peu du poids de leur maternité.

— Qui veut des fèves ?… Qui veut des fèves ?…

Tandis qu’il cheminait Goha chantait encore. C’était par petites bribes, avec fatigue. Le visage pâle aux cheveux noirs se précisait en lui. Goha vit une terrasse blanche, une femme étendue et une forme qui était lui. Au-dessus du groupe le visage aux cheveux noirs parlait, souriait et il devait ressembler à celui de la femme couchée dont les traits étaient confus. Goha dit : « C’est la cheika… » Mais il eut l’impression que ce n’était pas cela tout à fait, qu’il venait de commettre une confusion comme on en commet en rêve. Sa vision lui semblait d’ailleurs aussi loin de sa vie réelle qu’un rêve… et il ne chanta plus.

Devant ses yeux des milliers de cercles tournaient dans l’espace. Il sentit que son cœur était lourd. Le spectacle du dehors pesait en lui comme une pierre. Goha ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il éprouvait de la méfiance pour cette mystérieuse sensation.

Soudain, il buta contre un arbre.

Ce fut un réveil, mais un réveil maussade. Il chercha son âne et s’aperçut qu’il était à cent pas en arrière. L’effort qu’il devait accomplir pour aller le chercher épouvanta sa lassitude. Et il pleura.

Il essuya ses paupières, avec le souci visible de dérober sa peine à la bête qui le suivait. De sa tristesse, il lui restait un immense besoin d’être tendre. Il posa le bras sur le cou de son âne et