fleuve, des buffles promenaient autour d’eux un regard stupéfait. Goha longeait le Nil d’un pas lourd. Comme une image immobile projetée sur un écran et sur laquelle passent, sans l’effacer, rapides, nombreuses, d’autres images plus proches, plus colorées, il voyait au fond de lui-même un visage pâle aux cheveux noirs, ébouriffés. Ce visage l’obsédait, car il ne parvenait pas à lui donner un nom, à le situer dans une des rencontres de sa vie. Soudain, il eut la certitude qu’il allait le reconnaître, mais de nouveau des fantômes rouges et bleus envahirent son cerveau. Ce n’étaient plus les trois fellahas, c’était une foule de fellahas joyeuses qui venaient rire à ses oreilles et lui faire toutes sortes d’agaceries. Il voulut les écarter du bras, elles s’accrochèrent à lui. Puis elles disparurent.
Elles laissèrent Goha dans un état d’extrême agitation. Son impatience d’apprendre ce qu’il était sur le point d’apprendre confinait au désespoir. Il soufflait bruyamment, allongeait le pas. Dans le tumulte grandissant de son être, il saisit un nom, un cri : cheika ! cheika ! mais ce nom n’évoquait pas en lui la statue, il réveillait un morceau de tendresses accumulées, de souvenirs sans images et très doux… Cheika ! C’était toute sa puissance d’aimer qui trouvait son expression dans ce mot.
Il traversa une palmeraie dont les arbres, pour la plupart, étaient chargés de régimes pesants. Rare parmi les dattiers femelles se dressait le dattier mâle. Vingt, trente, quarante épouses