Goha ne l’entendait pas ainsi. Il avait le sentiment que ce vieillard se dérobait à ses arguments. Il le retint par le bras :
— Est-ce que tu es mort, toi ? hurla-t-il rouge de colère… Si Waddah-Alyçum est mort, toi aussi, je dis que tu es mort !… Moi aussi, je dis que je suis mort !… Et tout le monde, tout le monde est mort !
Fixement, avidement, le front pressé contre la moucharabieh, Nour-el-Eïn regardait l’homme qu’un cercueil avait mis en gaieté. Les cris des pleureuses l’empêchaient de suivre la scène. Elle se rendait compte toutefois que Goha, seul, tenait tête à la foule. Des vieillards, des étudiants l’entouraient. Mais ils avaient beau parlementer, Goha était intraitable et ils s’éloignaient avec des gestes désespérés. Nour-el-Eïn contemplait la belle carrure du héros. Plus encore que son rire, son cou puissant, ses bras musclés, la santé magnifique qui rayonnait de son corps le détachaient de cette foule morne et stupide. Elle le compara à Waddah-Alyçum, à Cheik-el-Zaki… Alyçum n’était plus qu’une chose inerte, vaincue par la mort ; El-Zaki suivait le cercueil, les épaules voûtées, vaincu lui aussi par la mort. En Goha s’était retranchée la vie… Comme on devait se sentir en sécurité dans ses bras !
— Tu ne tremperas plus tes lèvres dans nos tasses, dit Amina s’adressant au défunt.
— Tu ne franchiras plus le seuil des chambres nuptiales, dit Mirmah…
Le cortège s’était engagé dans la venelle étroite