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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

Elle fut effrayée en voyant une masse de chair énorme et broussailleuse au-dessus de sa tête.

— Dors… Je ne voulais pas te réveiller…

Elle reconnut la voix d’El-Zaki. Il se redressa. Elle put le considérer à loisir. Que lui voulait cet homme ? Tout en lui était ridicule, les bouts d’oreilles qui s’échappaient de son turban, sa bouche d’où tombaient des paroles qu’elle ne comprenait pas, ses rides en mouvement qui modifiaient sans cesse le dessin de sa face. Elle s’attarda complaisamment sur le nez qui s’avançait vers elle. Jamais elle n’avait remarqué qu’il fût si grand, que la peau en fût si rugueuse.

— Pourquoi restes-tu muette ?

Nour-el-Eïn n’écoutait pas. Ayant détaillé les traits de cet homme, elle le regardait maintenant calmement et songeait qu’elle pourrait aussi bien lui percer le cœur d’un stylet.

— J’ai un gros chagrin ce soir, reprit El-Zaki en s’asseyant sur le divan… Et toi, serais-tu souffrante ?

Il ajouta, poursuivant sa première pensée :

— Allah est grand ! Il détient les destinées…

« Que m’importe son chagrin ? songeait Nour-el-Eïn. Se doute-t-il que moi aussi je souffre et par sa faute ? Warda m’assure que j’aurai Alyçum, elle me jure qu’il m’aime… Que ne donnerais-je pas pour savoir si c’est vrai ! »

— Je m’aperçois, ma chérie, que tu es aussi triste que moi, dit El-Zaki.

« Ah que ces phrases onctueuses m’exaspèrent ! » songeait Nour-el-Eïn. Mais une pensée lui vint qui