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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

tien… Tu protestes ? Que la tombe de mon père soit maudite si je mens ! Eh bien ! C’est à ton cœur que je m’adresse… Nour-el-Eïn, la pauvre enfant, est triste, Nour-el-Eïn pleure… Ella est jalouse de toi… Tu es trop belle et Cheik-el-Zaki la néglige pour s’enivrer de ta vertu et de ta beauté… Une maison somptueuse, un palais, est à vendre, tout près d’ici… Tu y vivras tranquille avec tes esclaves… Le cheik te l’achètera et il ira te voir souvent. Ainsi, ô ma lune, Nour-el-Eïn sera satisfaite — elle t’adore, cette petite, mais elle est si jalouse ! — Nour-el-Eïn sera satisfaite et, toi, tu seras propriétaire… Voilà ce que je demande à ton cœur grand, pur, pitoyable, généreux…

À ce langage ferme, qui était plus un ordre qu’une prière, Mabrouka comprit qu’il était de sa dignité d’accepter et qu’un refus, en reculant de quelques jours son irrémédiable retraite, ne ferait que lui imposer d’atroces humiliations. Gravement, elle répondit :

— Tu as raison, Warda… Parce que j’aime le cheik, je ferai ce que tu me conseilles…

Warda, qui ne s’attendait pas à une telle docilité et qui s’était armée d’arguments menaçants, se sentit d’autant plus émue que la vieille femme faisait des efforts visibles pour maîtriser sa peine. Mais le temps pressait… Nour-el-Eïn s’impatientait dans sa chambre. Et d’ailleurs Mabrouka aurait pu profiter d’une minute d’attendrissement pour se reprendre et espérer. La dallala serra dans ses bras la vieille épouse et se hâta de rejoindre Nour-el-Eïn qui l’assaillit de questions.