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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

— Et pourquoi ne connaîtrais-tu pas son nom ? Y a-t-il du mal à connaître un nom ?

Et pour calmer les scrupules de la jeune épouse de Cheik-el-Zaki, elle déploya une étoffe de soie en lui détaillant ses qualités.

Warda était épaisse, borgne et âgée de plus de quarante ans. Le courtage qu’elle prélevait sur ses ventes ne formait qu’une partie de ses ressources. Plus que son goût dans le choix des indiennes, son entente dans toutes les questions de cœur la recommandait à l’estime de ses clientes. Elle savait prédire l’avenir. Accroupie sur le tapis, la robe relevée sur ses jambes courtes et boursouflées de graisse, elle étalait un paquet de cartes devant les impatientes amoureuses.

Elle connaissait des formules infaillibles pour susciter le désir chez les natures les plus rebelles et donnait des amulettes contre le mauvais œil. Bavarde, elle colportait de maison en maison les scandales recueillis avec avidité. Ses propos obscènes, ses flatteries, son adresse à faire pencher les hésitations du côté du vice, en faisaient une entremetteuse remarquable.

Après sa demi-confidence, Nour-el-Eïn attendit tranquillement la visite de la dallala. Elle assistait, couchée sur son divan, comme une chose inerte, au lent écoulement des heures. Des mains expertes s’étaient emparées de son sentiment et le dirigeaient vers quelque terrible péché. Pour s’expliquer à elle-même son muet acquiescement, elle se plaisait à voir en Warda une insurmontable volonté. « Que puis-je contre cette femme ?