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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

lança un filet de salive sur les dalles et poursuivit :

— J’habitais de l’autre côté de la montagne, loin, très loin… Un jour que je coupais la vigne, un homme à cheval me jeta sur sa selle et m’emporta… C’était le père de Mélek. En entrant dans sa maison, il me dit « Tu as les mamelles d’une mère. » Je lui répondis que c’était vrai, que j’étais mariée et que j’allaitais un garçon. « C’est bien, me dit-il. Maintenant tu nourriras ma fille et tu coucheras avec moi. » Ah ! il avait raison. J’étais belle. Ma bouche était une pistache, mes yeux étaient des lustres et mon corps était une tubéreuse… »

La tête ridée et tremblotante de Mirmah s’éclaira d’un sourire et son nez allongé rejoignit son menton.

— J’aimais Mélek comme mon enfant…

— Était-elle jolie ? interrompit Nour-el-Eïn.

— Comment peux-tu me demander si elle était jolie, quand elle buvait le lait de mon sein ? Oui, ma chérie, mon lait l’embellissait. À trois ans c’était une fleur.

Reniflant bruyamment dans la paume de sa main, elle ajouta :

— Une fleur qu’on aurait pu respirer comme ça !

— Savait-elle danser ? demanda Amina.

— Hé ! tu es bien pressée, ma chérie, répondit la vieille femme. Naturellement elle savait danser… Mais tu ne me laisses pas le temps de parler.

— Ne te fâche pas, ma mère, supplia la Syrienne.