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Marthe et son père n’étaient pas rentrés. Où courait-elle en compagnie du compositeur, la pauvre cadette ? De répétitions en répétitions, de scènes en scènes, de cabots en cabots. Gérard en eût la vision amère. Cependant, Nelly avait gardé sa mine impassible. Adossée au piano couvert de soies anciennes, elle se faisait les ongles, rageusement. Avec son casque de cheveux noirs et son profil dur, quasi romain, elle paraissait, la belle et forte fille, un contraste voulu de son frère. Cela la vexait doublement d’avoir été surprise et protégée en quelque sorte par ce garçon qu’une figure triste, rêveuse, quasi féminine, rendait inacceptable comme chef de famille.

— Dis-moi, Nelly, que je t’ai sauvée ! Voyons ? tu n’as donc pas pensé à notre mère, pensé à ton avenir…

— Penser à notre mère, penser à « mon avenir » ! ricana-t-elle. Oui, tu fais bien d’y penser pour tous, toi. Toi, qui es libre dans la vie, toi, qui par ton métier d’homme t’en fiches ! Mais, mon cher, sais-tu ce que ça veut dire, pour un mariage, d’être la fille d’une folle et d’un quasi-acteur ? As-tu avoué souvent la maladie de maman ? Non, n’est-ce pas ? Et pourtant ! Mais nous, Marthe et moi-même, nous qui sommes promenées d’actrices en actrices, — jolie éducation déjà — nous qui devons attendre