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au petit, cette idée de se mêler à la fiévreuse activité des théâtres, aux potins des loges, aux poussières des couloirs, après le calme plat du régiment…

Ils s’étaient aventurés ainsi, Miess et lui, munis d’une permission de minuit à l’Alcazar où, il paraît, la fleur de la caserne tenait une cour d’amour. La salle remplie de glaces sur lesquelles des générations avaient inscrit leurs soirs de fête et leurs jours de salle de police se terminait, au milieu des chaises, des tables poissées et des obligatoires banquettes rouges, par une scène étroite, où des demoiselles chantaient (en général avec leurs jambes). Au moment de leur entrée, une énorme femme atteinte, on eût dit, d’éléphantiasis à la gorge tonnait un : viens oublier dans mes yeux les cieux ! capable de faire frémir un mort. La fin de la romance hurlée à pleine voix dans un désordre de graisses remuées, de seins soulevés et de bajoues éructées produisait un effet grandiose sur l’auditoire. Les sergents daignaient applaudir : Les « — Cristi, quelle nature ! — Mon vieux, pour une constitution, elle a une constitution… » se croisèrent. Les bravos reprenaient, les bis pointaient. Miess, ravi, soufflait :

— Ça fait plaisir à voir. Le culte de la beauté n’est pas mort. Quel souffle ! Cependant la grosse personne, à bout de force, se récusait.