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d’innombrables cigarettes — Ivanof, son fils d’adoption, condamné déjà à mort trois fois, et qui, blond, rose et pudique comme une fille, avait un si joli sourire pour annoncer un nouvel assassinat politique, l’ex-princesse Fédia Alexandrowna, pas très jolie avec sa poitrine plate et ses yeux bridés, mais prenante, enthousiaste, remueuse d’idées et remueuse de foules, en un mot prophète, Rychenko, un tartare barbu dont les brutalités sauvages et la naïveté d’enfant donnaient de la crainte mêlée de sympathie, Georges Wassilieff, l’aveugle évangélique, la vieille Sonia Vérine, qui parlait du Christ qu’elle avait vu, et dont les fils étaient morts, massacrés dans les troubles d’Odessa, tous ces gens qui étaient là n’avaient qu’une conversation : toujours la même : le salut des masses ouvrières, pures et persécutées, la délivrance des sublimes prolétaires de tous les mondes et de tous les pays. Ils parlaient longtemps sans se lasser d’eux-mêmes, lisant des articles, rédigeant des pamphlets, échangeant des nouvelles.

Même lorsque leurs voix s’enflaient et que dans la causticité de leur haine ils ne souhaitaient l’avenir qu’ensanglanté, une douceur communiante planait autour de la table. Le vieux mysticisme de la sainte Russie leur donnait cet espoir quasi religieux, ces gestes d’illuminés…