Page:Adelsward-Fersen - Et le feu s’éteignit sur la mer.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un coup terrible sur le buste. Il riait sinistrement à la vue du nez cassé, des joues fendues, du menton réduit en miette. Quelle ridicule poupée camarde cela faisait à présent ! Lui, avoir pu aimer ça ! Quelle blague ! Quelle ignoble blague ! Et d’un seul élan, il s’acharnait sur tous ces souvenirs, sur tous ces témoins ; pris d’une irrésistible rage de détruire, il attaquait tous les chevalets, renversait les ébauches, démolissait jusqu’à ses bas-reliefs, anéantissait ce travail qui ne l’avait pas sauvé.

— Eh bien, maintenant, me foutras-tu la paix ?

Mais non ! il lui suffisait de fixer, par hasard, un seul moment, la fenêtre, pour voir au dehors la statue, la Vraie… Ah ! celle-là !

Alors, comme en hypnose, Gérard alla vers la terrasse. La nuit majestueuse couvrait les choses d’une immobile chevelure de silence.

— Tu m’as pris mon cerveau et mon cœur… balbutia-t-il en face du marbre et à voix basse : Tu en as fait de la boue et du sang. Et puis tu en as fait des larmes… À présent je n’ai plus rien car tu m’as volé et tu m’as menti… L’art lui-même m’a menti. Voleuse, pillarde, catin sans honte ! Tu m’as vidé, fripé les moelles, ranci le cœur ! Tiens ! voilà pour ta prétendue beauté, pour ta beauté insensible : je te méprise et je te hais, toi et toutes les femmes !