Page:Adelsward-Fersen - Et le feu s’éteignit sur la mer.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

main, ce sera dix louis… Alors vous devinez ce que j’ai fait du portrait qu’elle m’avait donné. J’ai déchiré ça en mille miettes jusqu’à ce qu’on ne puisse plus reconstituer ni le regard enfantin ni le sourire et j’ai jeté ce qui fut Muriel aux ordures… pour ne plus voir…

— Et vous la voyez encore, n’est-ce pas, vous la voyez toujours ? Oh, je sais : inutile de protester ! Ne pleurez point. Là, apaisez-vous, que diable ! À quoi servent vos larmes quand vous pourriez guérir ? Vous portez Muriel en vous telle qu’une plaie adorable et hideuse, ainsi qu’une maladie infâme dont vous aurait souillé la plus juvénile Madone… Je sais… Vous êtes parmi les nombreux hommes qui se sont rivés au malheur et qui sur la foi de préjugés imbéciles s’agenouillent devant des poupées au cœur maquillé comme leurs faces. Il est toujours temps d’en briser les chaînes, mais peut-être qu’alors la vie ne signifierait plus rien ! Votre faute, mon ami, a été de mal comprendre le beau sexe… le sot sexe, en général, et cette fille en particulier. De ce qu’elle ressemblait à une vision immortelle, de ce qu’elle vous évoquait physiquement un chef-d’œuvre, vous l’avez crue vision, vous l’avez crue chef-d’œuvre et c’est vous qui l’aviez créée. Elle, comme toutes les autres de son genre, n’était