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— Moronsoff… Moronoff… Minosoff ! Oui, c’est cela : Minosoff, affirmait béatement l’écraseur de sangsues. D’ailleurs, ça n’a aucune espèce d’importance. Votre photo, simplement… Elle est pareille à celle qu’on vend partout. On voit généralement Mimie, nouvelle venue entre Otero et Manon Loti. Très artiste… Cent louis…

— Assez ! Parlons d’autre chose, voulez-vous ! Et une révolte secouait soudain la voix du jeune sculpteur. Il s’éloignait sur un prétexte quelconque. Il avait pris le portrait. Il gagnait sa chambre. Là, pris d’une rage folle, il déchirait en petits morceaux le carton devenu infâme. Des injures, des blasphèmes, des crachats lui obstruaient la gorge. Son silence paraissait étouffant. Mais là, tout près, ce Miess qui écoutait… oh ! celui-là, quel coup terrible il donnait à Maleine, inconsciemment. Tant de peine pour essayer d’oublier. Et voilà qu’on retombait plus bas encore, plus profondément ! Et le sculpteur chancelant, étourdi, écœuré, avec des envies de vomir sa peine, crispait les poings, rognait des dents… Il avait eu un moment la tentation de crier à Miess : Taisez-vous ! Ce souillon dont vous parlez, cette ordure, cette belle « grue » enfin, c’était ma femme, c’était mon amour, c’était mon ciel ! ce que j’avais de plus beau ! Taisez-vous : je vous casserais la figure…