Page:Adelsward-Fersen - Et le feu s’éteignit sur la mer.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bientôt, on s’arrêtait. Tout à l’heure, Porto d’Ischia donnait l’idée d’un rêve de Besnard, d’un embarquement pour l’île heureuse avec ses jeux de lumière, ses distances bleues, ses grands arbres sombres que le vent marin balançait. Ici l’impression changeait. On vivait dans un décor de Gustave Doré ou de Boecklin, on se croyait en face d’une chimérique vision pour l’Enfer du Dante ou d’une esquisse pour l’Île des morts ; l’Île des morts, en effet…

Car, relié à la terre par un môle agrippé aux rochers, c’était, soudain, surgissant de l’immensité bleue du golfe, un rocher à pic couronnant sa crête, bien au-dessus des vertes pineraies d’Ischia, d’une ville entière et dépeuplée, d’une ville fantomatique, dont on voyait les palais dévastés, les églises en ruines, les belvédères ouvrant leurs portiques sur le ciel, les couvents aux mille cellules, les palais en décomposition. Ici, c’était un arc de triomphe dont les marbres s’effritaient. Là une cathédrale dont le dôme brusquement se crevait sur l’abside. Un Mont Saint-Michel qu’Hubert Robert aurait composé, mais prenant d’autant plus de tragique grandeur qu’il jaillissait ainsi, noirci, ravagé et tout ciselé encore d’architecture, au milieu d’une nature voluptueuse et languide, criant les fêtes, reniant les deuils !