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il m’abandonne à chaque nouvelle ville, à chaque nouveau pays, à mesure que nous nous éloignons de ce Paris où il m’a connue, désirée, aimée, voulue et prise ; il s’en va ; il me laisse sous un prétexte quelconque : oh, toujours très poli, il visite… à ce qu’il prétend… ! Mais je ne dis rien ; je devine ; je pressens ; je suis certaine… Et je l’aime, Gérard, je l’aime ! Rien ne m’a jamais fait si mal !…

— Mais alors, Nelly, puisque ton expérience est faite, puisque tu vis un martyre… Nelly malheureuse… va-t-en ! Laisse-le, laisse-le, si tu souffres, s’il est indigne, s’il est ingrat !

— C’est justement cette souffrance, cette ingratitude, qui griffe, qui râcle, qui exaspère mon amour. L’amour, est-ce que ce n’est pas l’irréalisable joué sur un violoncelle ? Et puis par cette souffrance même, j’ai un droit de plus. Tu me disais tout à l’heure que pour sa liberté à soi on n’a pas le droit d’enfreindre celle des autres, qu’une famille fait un tout dans la société et que si l’on veut quitter cette société idiote et ses préjugés, à son tour, il fallait penser sur qui retomberait la société même… La famille a-t-elle le droit de vous empêcher de vivre, de choisir et d’aimer, surtout quand on rachète son bonheur par des larmes ? Voyons, Gérard, soit juste…