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MESSES NOIRES

cela, à tout cela, il me semble, my lord, avoir un couteau planté dans la poitrine.

« Oh, ce fantôme tragique, que moi-même, spectre et douleur, je ressuscite parfois, dans mes rêves : ce fantôme sanglant sur un rivage athénien. Lady Cragson, la pleurez-vous encore ? Je n’aurai pas eu la chance d’une si belle mort, d’une agonie pareille, extasiée et languide, en face de votre nudité…

« Je m’en vais, abandonné de tous, même de vous, parce qu’on ne nous reconnaît pas le mérite du rêve ; plaint sans qu’on veuille le dire, regretté sans qu’on puisse l’avouer, tant calomnié que plus tard d’autres générations condamneront la mienne, tant haï que je suis terrassé, au fond d’une geôle, par la tristesse, par le dégoût et par l’ennui. Ma seule espérance est dans le néant, mon unique amour dans la mort. Dans la mort que j’ai adorée et que j’ai célébrée comme la fin de la souffrance, comme le repos et comme la volupté ! Qu’elle est immense et vengeresse en face de la bête humaine.

« Je l’attends ainsi qu’une fiancée adorable, éternelle, dont le baiser léthargique apaise pour toujours. J’attends la mort très calme…

« Mais pourtant quelle révolte et quelle colère ! Oui, quand je compare dans ma conscience mes gloires et mes crimes, il me semble que les unes ont effacé les autres et les ont rachetés. Ah, pourquoi ces gens m’applaudissaient-ils, puisque je les empoisonnais ? Pourquoi ne suis-je pas resté ce que j’aurais dû être : un médiocre, un obscur, un inconnu, sans talent, sans succès ? Le succès m’a grisé ; l’orgueil m’a vaincu. Et j’ai eu le tort d’être seul !

« Car, si vous saviez comment j’ai vécu, dans quelle