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LORD LYLLIAN

La vilaine ville !… Au diable la résidence qu’il y possédait, la place aristocratique et tranquille d’Hanover Square, les raouts gourmés où les flirts sont rares, les garden-parties où ils sont trop fréquents, les dîners au Savoy, les soupers au Carlton, les nuits chez Yarmouth. La vilaine ville, pleine de brumes, de pudeurs, de vices… et d’exhalaisons.

Qu’y faisait-il ? Il s’y était arrêté machinalement à son retour d’Hellas, pour oublier, pour se distraire. Ses terres d’Écosse étaient si désertes ! Là encore revivrait l’infortunée lady Cragson, avec le souvenir antipathique de Harold Skilde. Mais aujourd’hui, à quoi bon ? Pas d’amour, pas d’amis. Il était libre comme l’air. Gibson, son intendant, lui servait ses revenus régulièrement. Il pouvait les dépenser à la bonne aventure. Il valait mieux partir.

Les ronflements continuaient. Alors, silencieusement, il se rhabilla. Tout à coup, on frappa à la porte. Une erreur, sûrement. Lyllian ne soufflait mot… On frappa encore. Il fallait ouvrir, on avait besoin de la Yarmouth peut-être. Il tira le verrou, très honteux.

— Un télégramme pour… Madame, disait la maid toute drôle avec son petit chou-fleur de dentelle sur la tête.

— Elle dort…

— Faut la réveiller. Ça doit être important…

— Bien, je m’en charge.

Et quand la maid fut partie, Lyllian alla vers le lit, appela : Mary, Mary… comme elle dormait toujours, il la secoua.

L’autre, ahurie, arrachée à ses rêves, ouvrit de gros yeux, ramena instinctivement la couverture de soie sur ses seins hors service.