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LORD LYLLIAN

venez souper avec nous… je voudrais vous parler… je vous aime… il lui glissa sa carte. L’autre lut, à la dérobée.

— Venez, n’est-ce pas ?

Alors elle souleva une tenture, fit un signe à tous de la suivre et, presque en un baiser :

— Oui, mon chéri, dit-elle, et tu ne paieras rien !

 

Un petit jour malpropre suintait à travers les rideaux épais… Il devait être tard, car avec le fog londonnien un petit jour malpropre à travers des rideaux équivaut au soleil de midi. Lyllian, tout étourdi, la bouche brûlante de soif et de fièvre, se frotta les yeux à la manière des enfants qui ont encore sommeil. La matrone, épaisse et blanchâtre, ronflait pacifiquement. Lyllian regarda autour de lui, vit cette lumière à la fenêtre, se souvint brusquement de sa soirée, reconnut la chambre, le lit… la vieille. Oh, la vieille !

Il sauta à terre, dégoûté comme par un reptile. Il tira les étoffes, ouvrit à demi la croisée qui donnait sur le petit jardin d’Edward Street.

Des gens passaient, affairés. Une marchande de lait s’arrêtait en face ; des maisons en pain d’épice, du bruit, du brouillard, des affiches, des puanteurs… Londres… Il se retourna et aperçut, à la clarté douteuse du jour, l’alcôve avec ce corps obèse, faisandé de mauvaise graisse et de mauvais fard. La femme dormait et son âge que rien ne cachait plus grimaçait dans ses rides, sombrait dans ses chairs flasques, dans sa bouche édentée, ricanait sur son pauvre front dégarni. Lyllian évoqua ses petits cris de colombe amoureuse, ses mines pudiques