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MESSES NOIRES

— Laissez, murmura d’Alsace, c’est très imprévu…

— Un seul et long baiser !… Elle voulut l’entourer, le caresser, gagner sa bouche. Mais d’un geste, abandonnant son immobilité, lord Lyllian la repoussa, et si fort, qu’elle faillit s’abattre sur la pierre.

Alors, pâle comme une morte, les cheveux défaits, des larmes pleins les yeux, de ces larmes qui ne s’étanchent plus, elle demeura un instant étourdie et sans comprendre… Les paillettes de sa robe étincelaient aux torches… Puis, tout à coup, elle saisit le couteau. Et d’un coup net elle s’ouvrit la poitrine.

Des cris d’horreur s’élevèrent, suivis de la débandade affolée de tous ces mercenaires qui avaient peur.

Lyllian s’était jeté sur la blessée, arrachait les tulles, les dentelles, tâchait de panser la plaie, d’arrêter le sang. Harold Skilde, Jean d’Alsace, arrivaient en courant. La princesse Krapouchkine, soufflant comme un phoque, gémissait avec un accent caviar : Aussi, c’était fatal, on ne laisse pas faire ces choses là… L’obscurité complète succédait aux illuminations. Des torches fumaient, à demi éteintes dans l’herbe. Skilde en saisit une, en ranima la flamme et distingua lady Cragson couchée au pied d’un laurier dont les branches embaumaient. Elle agonisait avec un sourire mélancolique et douloureux.

Skilde découvrit la poitrine ensanglantée. Rien à faire. Le pouls se ralentissait de seconde en seconde. Un bruit de gouttière accompagnait la respiration. Lyllian embrassait la femme inerte… « Mais oui, je t’aimais… Tout à l’heure, je t’ai refusé mes lèvres parce que les étoiles me parlaient… Maintenant je te les donne pour toujours… »

— Pour toujours ? balbutia-t-elle, heureuse…