Page:Adelswärd-Fersen - Messes noires ; Lord Lyllian, 1905.djvu/66

Cette page a été validée par deux contributeurs.
54
LORD LYLLIAN

Le bateau est parti, dans la brume poudrée d’azur et de soleil. L’amphithéâtre formé par la cité prenait dans l’indécision du matin l’aspect d’un cirque immense, de marbre nu, dressé en face de la mer. Le dominant de son panache cendré, le Vésuve reflétait sa masse sur le golfe. Capri, que nous avons longée, nous suivait avec ses villas langoureuses et ses bois d’orangers. Ah petite, cruelle aimée, comme j’aurais meurtri vos beaux yeux sous mes lèvres… Mais je n’ai plus le désir ni la fièvre d’en écrire davantage. J’ai sous les yeux constamment la vision claire du sillage qui m’emporte loin de vous, la vision de ces vaguelettes blanches qui nous séparent sous le même ciel. Peut-être que j’essaierai de revenir par l’Espagne. Au revoir, ma mie bébé, adieu, ma mie joujou. Aimez-moi comme on aime quand on s’est bien aimé. »

 

Renold était monté par les petites rues étroites et caillouteuses de la Valette, bordées de maisons à l’italienne, ou des quelques merveilleux palais qui subsistent encore du temps des chevaliers. Il avait déposé sa lettre en se cachant presque, poursuivi de près ou de loin par Harold Skilde. Maintenant il respirait, et avec la joie d’un écolier qui fait école buissonnière, admirait la fête du soleil dans ce matin maltais.

Il était parvenu au sommet de la ville et dominait la baie lumineuse du port où les navires en partance laissaient flotter des fumées bleues. Un bruit métallique et sonore montait de l’arsenal. Des drapeaux flottaient sur les toits des édifices, des drapeaux étoilés de la croix de Saint-Georges. Un parfum déjà d’Orient, une lasciveté heureuse baignaient l’horizon, la mer, la ville. Lon-