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MESSES NOIRES

vos poupées, me dites-vous ? J’aurais été si gentiment la vôtre ! Mais en étourdi que je suis, je parle, je parle sans vous raconter mes histoires. Et Dieu sait si j’en aurais à raconter !

D’abord celle de mon voyage. Je vais en Grèce, en Orient, là-bas. Vous êtes-vous jamais figuré la Grèce, petite amie ? Des lauriers-roses et des bucoliques, un jardin tout en fleurs où muserait Théocrite. Platon, d’un geste blanc, montre à ses disciples les bosquets d’Academos, Aristophane se moque du vieil Homère qui chante : au loin luit la mer Égée, l’Acropole dresse sa gloire au soleil… en face de l’Olympe tout frissonnant des dieux.

C’est ainsi qu’arrivé à Malte, où je laisserai ces lignes, je me représente cette terre lumineuse et douce.

Des phrases en pâte d’Italie, dirait cette bonne peste de M. Skilde dont vous ne connaîtrez jamais que la mauvaise réputation. C’est mon compagnon de voyage. Il écrit et il empêche les autres de parler. C’est un monopole de rosserie. Je vous adore. Savez-vous qu’après la lecture de votre petit mot je me souviens être parti visiter la ville qui baignait dans un crépuscule d’or et d’argent mystiques ? Oh ! les parfums mélangés de fleurs, de fruits, de caresse et de femmes ! J’étais très énervé. J’avais aussi un peu de peine. Je pensais à darling Edith. Vous me croirez si vous voulez ou même vous ne me croirez point : au passage, les jolies Napolitaines me regardaient (je suis fat) et dans chaque sourire j’évoquais votre sourire ! (je suis fou). Tout cela si grisant et si mystérieux que j’étais debout le lendemain, à l’aube, pour revoir la ville, saluer Naples encore endormie.