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LORD LYLLIAN

Un grand dégoût lui vint de sa vie actuelle, un grand désir d’en finir et de recommencer mieux. Rester seul avec elle… lui parler, lui écrire, l’âme transfigurée par cette ville merveilleuse que le soleil de décembre revêtait de mousselines pâles, d’améthystes voilées !

Alors, sans y prendre garde, comme en extase, il se souvint de la dernière phrase de la lettre : C’est une illusion que me donne le soleil de croire que près de lui je ne suis pas trop loin de vous…

Doux et candide aveu de jeune fille qui, pour ne pas lui dire qu’elle l’aimait, lui rappelait le temps, lointain déjà, où il l’avait aimée… comme un gamin.

Edith ! Par elle, le bonheur lui faisait signe peut-être, et peut-être aussi leurs destinées à tous les deux. Quels jolis rêves ne réaliseraient-ils pas, ces princes qui n’avaient pas vingt ans ? Ils n’avaient fait que s’entrevoir, et d’un même geste avaient uni leurs lèvres. — Aimer Edith — rejoindre Edith — oui, le devoir, le salut étaient de ce côté-là ! Il ne penserait plus qu’à elle et chasserait de son esprit toute mauvaise pensée. Adieu les rêves malsains, les grâces alanguies, les stances efféminées et caressantes qu’il chantait à son corps ! Désormais, il serait le mâle, le joli petit mâle nerveux et dominateur. Et, lorsque l’âge serait venu de dire sérieusement ses caprices…

Hélas ! Comme lord Lyllian s’était avancé de quelques pas, il aperçut, fragile et triste, son image dans le reflet d’une glace quelconque. Quelle pitié ! Il considéra son corps trop élancé de collégien, sa petite tête impertinente et pâle, aux yeux sensuels, tellement cernés ! Pas une ombre blonde autour des lèvres qui, parfois, découvraient, dans un demi-sourire, des dents menues de