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LORD LYLLIAN

à défaut de ses qualités. Portraiturez un homme ou une femme d’une façon si saisissante que tous et toutes les reconnaissent, et quand leur infamie aura été publique, lorsqu’ils seront démasqués et dévastés, vous, vous deviendrez un héros, un grand homme !… Répétez-moi donc que vous m’aimez maintenant, répétez-le donc, mon brave ? Oui, vous m’aimez… pour l’écrire plus tard, vous m’aimez pour la description future, aussi froidement que si vous composiez un rôle !… Au reste, mon cher, continua lord Lyllian dans un sarcasme, je suis meilleur comédien que vous !…

— Comédie ou tragédie, peu m’importe ! Maintenant je vous ai là, dans ces pages ; votre petite personne impertinente et gracieuse danse au milieu de ces griffonnages noirs comme si elle était harcelée de mouches vivantes qui l’ont vaincue… Vous êtes à moi, soumettez-vous. Et, pour vous consoler, cher monsieur qui n’êtes pas mon amant, je vais vous proposer une grande chose…

— Et laquelle ?

— Un voyage…

— Loin ?

— En Grèce. Un voyage dans la lumineuse et nonchalante Grèce. Nous irons de Cyclade en Cyclade, de souvenir en souvenir. Venez, fuyons ces pays d’ombre et de fumée où l’on ne respire ni azur ni clarté. Ah, mon pauvre enfant, à qui j’ai dévoilé la vie ! Tant de mystère et tant d’idéal se mêlait à ma passion que je croyais ne pas faire de mal en vous initiant à mon mélancolique amour. Maintenant, de vous sentir ici, en proie à toutes les tentations, à toutes les tristesses, à tous les remords, face à face avec l’ombre, cela m’effraye et me déroute. Puisque