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MESSES NOIRES

plus prévenus l’applaudirent à la fin du premier acte.

Et lorsque, dans la scène au bord de la fontaine, il eut reconnu son évidente beauté, au point de s’embrasser lui-même, la salle entière, transportée, lui fit une ovation. Tout ému, tenant dans sa petite main un rameau de myrte antique, il s’avança pour saluer. Des roses tombèrent à ses pieds. C’était l’hommage de l’auteur. Revenu dans sa loge, il reçut à nouveau les compliments universels. Sans s’être donné la peine de quitter son peplum angelisé de déesse, lady Cragson vint le féliciter, en le regardant de ses éternels grands yeux tristes. Le duc de Cardiff le remercia chaudement et ajouta que la Duchesse avait daigné lui porter intérêt.

Harold Skilde arriva enfin à l’instant où tous parlaient. Il s’excusa, ayant quelques observations à mêler à ses louanges, dit-il, soutenu par le regard approbateur et vicieux du vieux Duc.

— La seule chose que vous ayez manqué, commença-t-il dès que tous furent partis, et vous auriez eu un succès complet, la seule chose que vous ayez manqué ce fut votre baiser…

— À qui ?

— À vous-même, quand vous étiez penché sur la rivière, à voir dans l’eau le reflet de vos yeux.

— Vraiment, comment donc est-ce qu’on s’embrasse alors ?

Harold Skilde, sans répondre, prit la fine tête qui lui souriait d’un ton narquois. Un instant, il prit plaisir à sentir palpiter le petit corps tiède si bien créé pour les caresses, puis, avec son ardeur affolée, il couvrit le cou douillet, les oreilles menues et roses, les joues ambrées et les lèvres qui s’offraient, de câlineries passionnées