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LORD LYLLIAN

pagnie de Skilde ou du pianiste Spilka — juste pour voir, — comme il disait.

D’autres invités tirant le grouse complétaient la liste.

Les répétitions commencèrent aussitôt et Skilde, tout en ne ménageant pas les conseils, fut charmé des dispositions réelles du jeune homme. Renold avec une aisance surprenante, évoluait sur la scène dans sa tunique transparente de demi-dieu sans que la révélation de sa beauté juvénile put lui causer la moindre honte ou le moindre embarras. Et lorsque, les répétitions finies, il allait se dévêtir dans une petite salle, aménagée spécialement pour lui, il laissait avec coquetterie glisser ses mousselines à terre, adornant de gestes savants et doux son corps harmonieux. Il restait immobile en face d’une psyché qui reflétait son sourire, une psyché pareille un peu à celle de chez lui, et regardait ardemment le jeune page très moqueur et très séduisant campé devant ses yeux.

La veille du jour de l’an, comme il s’abandonnait ainsi à d’exquises joies, on frappa un coup léger à la porte qui cédait. Skilde entra avant que, dans sa surprise, Renold eut pu se couvrir ou crier. Un grand frisson l’envahit et des baisers jusqu’alors inconnus le mordirent de la nuque au talon. Quand il reprit ses sens, Skilde était parti. Renold Monrose, lord Lyllian, s’était laissé violer comme une jolie femme…

Il n’en garda pas autrement rancune à Harold Skilde, car le lendemain il joua comme un second Garrick. Il eut dans le rôle tendre et mystérieux de Narcisse tant de naturel et de jeunesse, dans le dialogue avec la nymphe où celle-ci lui avoue son misérable et torturant amour tant de délicatesse et de pudeur, que les