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MESSES NOIRES

qui, lassés de la vie de New-York et de New-port avec les parades sur la Fifth avenue, les soupers chez Sherry, les dîners au Waldorf étaient venus promener leur spleen et leur milliard au hasard de la vieille Europe.

Elle, blonde, menue, avec un air enfantin et effarouché, avait fait deux fois le tour du monde, une excursion, affirmait-elle en montrant ses quenottes blanches. Lui, un géant, taillé pour la lutte et pour la pauvreté, encore plus étonné que sa femme d’être riche et de ne rien faire. Au reste, un esprit blasé de toutes les émotions, avec un estomac dégoûté de toutes les cuisines. Il durait, il ne vivait pas. Et, cependant, accumulait, car c’était sa passion. Et puis le moyen de dépenser vingt millions de rente ! D’être un oisif, passe, mais il fallait sembler faire quelque chose, et beaucoup de choses. Ainsi pratiquait-il tous les sports, tous les plaisirs et tous les ennuis. Il chassait, pêchait, ramait, jouait au Golf et au Tennis comme un enragé, possédait quatre automobiles, deux écuries de course, en était à son cinquième dirigeable, dressait les chevaux en liberté, et jouait la comédie. D’ailleurs, sa femme et lui gardaient de leur tour du monde l’air perpétuel d’être en voyage.

Il y avait encore Percy Cardwell Blonton, le fils cadet de Sir Richard Blonton, le richissime brasseur de la cité, dont les propriétés étaient situées à quatre milles de là. Percy Cardwell, l’habitué du Prince’s et du Saint-James, Percy que l’on rencontrait à 10 heures du soir dînant en frac au Carlton ou chez Delmonico, l’orchidée à la boutonnière, le monocle vissé dans l’œil, pour faire comme Chamberlain, le petit arriviste, et qui, après cela, passait ses nuits à courir les bouges en com-