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MESSES NOIRES

pénétra dans l’ancienne chambre de sa mère. Du vivant du vieux Lord, il n’avait jamais osé…

Une odeur de choses fanées, une persistante odeur de buis et de moisissure l’assaillit lorsqu’il entra. C’était une salle pareille à beaucoup d’autres, si ce n’est qu’une main féminine en avait atténué la raideur et l’arrogance. Un lit charmant, tout pâle et rose, surmonté d’un dais sculpté, occupait le centre de la pièce. De petits meubles fins qui contrastaient étrangement avec les murs tendus de damas sombre s’éparpillaient au hasard, çà et là, pareils à l’âme futile et charmante de Lady Lyllian. Et comme si tout d’un coup l’enfant avait eu conscience de son affreuse solitude, de sa faiblesse devant la vie, en face du lit où était morte celle qui l’aurait tant aimé, il éclata en sanglots.

Une musique lointaine lui parvint qui berçait ses larmes. Quelque montagnard sans doute, soufflant du cor… Oh, l’âme des choses… des chères choses inanimées…

— Maman, maman ! murmura-t-il en secouant avec désespoir sa tête blonde ; et ses jeunes lèvres qui ignoraient la caresse et les baisers, se posèrent sur la soie du lit ainsi que sur des reliques.

Il sécha ses yeux et, s’étant calmé, regarda.

Il reconnaissait l’endroit avec l’imprécision de ceux qui ne se souviennent ni du lieu, ni de l’époque, mais qui, uniquement, ont la mémoire d’un grand bonheur. Sa mère avait dû souvent s’asseoir, plus lasse que de coutume, peut-être plus résignée, sur cette bergère dont l’étoffe ancienne encadrait si bien sa mélancolie. Elle avait dû manier ces tiroirs légers en bois de rose, frivoles et faciles, sans secrets… et pourtant mystérieux.