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LORD LYLLIAN

Il lui fallut donc rester l’automne et l’hiver à Lyllian Castle. Son père possédait bien à Londres, à Hanover square, une résidence superbe, où jadis il avait offert un bal au Prince de Galles et au régent de Brunswick. Mais Londres et son tourbillon faisaient peur à l’enfant.

Il n’y connaîtrait plus personne. Et quand on est seul dans l’existence, la solitude est d’autant plus cruelle qu’on sent la vie intense autour de soi.

Les veneurs furent dispersés ; le train de maison resta, à part ceci, le même. Les faucons demeurèrent en cage, et lorsque les brumes couvrirent une fois de plus le lac et les horizons, l’enfant, devenu le seul maître des lieux, y promena languissamment son impérial et jeune ennui.

L’ennui… La valetaille le devinait bien, l’ennui du petit Lord. On apercevait souvent sa silhouette de page blond dont seule la tête, extraordinairement pâle, se diaphanéisait au crépuscule.

Il avait encore les cheveux longs, qui lui cachaient les oreilles et entouraient son cou d’une dentelle d’or. Il conservait les habits que son père lui avait désirés : veste flottante, échancrée sur la poitrine jusqu’à découvrir la naissance du cou, du cou qui rosissait, surgi d’un large col de guipure ; culotte courte qui emprisonnait étroitement ses jambes frêles, bas de soie et souliers découverts, souliers mignons à révérence et à menuet.

Et il ressemblait ainsi, jusqu’à s’y méprendre, à un autre portrait d’ancêtre, qui songeait, appuyé sur une haute canne, feutre en tête, près de son cheval de guerre et de ses lévriers, à quelque retour des Jacobites.

Par une de ces journées grises et mélancoliques, il