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MESSES NOIRES

— C’est qu’il est nu, complètement nu sous son manteau, chuchota-t-il à sa grasse épouse.

— Oh, quel bonheur ! répondit-elle naïvement, avec un râle de plaisir.

Plus loin les potins continuaient :

— Alors, vous êtes partisan de la traite des blanches ?

— Oui, mais pas de celle des blancs…

Les propos qui s’étaient tus à l’arrivée du jeune Anglais reprenaient sur toute la ligne. Les chanteurs napolitains s’étaient mêlés aux soupeurs et quelques-uns, très allumés déjà par de nombreux verres d’Asti, regardaient Mme Feanès avec des yeux scabreux…

— Que voyez-vous dans l’amour ?

— Oh, à peine un pourboire…

Une mélopée triste interrompait d’Alsace qui déjà échangeait avec Lyllian des confidences. M. d’Herserange, congestionné, rongeait ses ongles en face du lord. Feanès déboutonnait sa chemise et s’endormait. Le prince en était à sa dixième piqûre de morphine. Deux Napolitains se chatouillaient les aisselles dans un coin, derrière le prince.

Della Robbia ordonnait qu’on ouvre une fenêtre.

— Ça sent le fauve, maugréait-il.

— Laissez donc, c’est splendide ainsi ! répliquait lord Lyllian. On ne distingue plus rien, plus rien à peine… sauf les soupeurs. Je vous jure, on dirait d’un Rubens retouché par Goya… Ah ! donnez-moi donc à boire, boys, je veux faire des bêtises, être nerveux, très nerveux…

— C’est sa manie, murmura della Robbia à d’Herserange perdu dans sa torpeur.

Et il offrit un mélange d’Asti, de poivre et d’eau-de-