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LORD LYLLIAN

celui des femmes sont des malades sentimentaux et sensuels. Quelquefois ils n’ont jamais osé aborder de femme et cette timidité est devenue une manière de sauvagerie haineuse. Plus souvent, leurs premières expériences ont été si navrantes qu’ils ont cherché autre part à calmer leur soif de mystère, de tendresse et de beauté. Or, le narcissisme à deux révèle tout l’attrait d’une caresse nouvelle. Mais il ne se conçoit qu’entre adolescents. L’âge le rend vulgaire. Aussi pour moi, à vingt ans, mon gosse, est-ce fini.

Aujourd’hui, je me repens et je suis sauvé. J’ai bien souffert, André, je ne te repousse point… Je t’aiderai pour la guérison prochaine… Tu verras comme la vie est meilleure, comme elle est plus saine et plus forte !… Ne désespère pas… Tu es beau, intelligent et bon ainsi que le furent Mozart et Chopin… Tu as l’avenir devant toi… écoute !… Dans un an ou deux, tu rencontreras, ainsi que je l’ai rencontré, le charme exquis d’une jeune fille, et tu t’apercevras qu’auprès d’elle, on ne pense plus aux anciens jours… Mon enfant… mon cher petit… essuie tes yeux… ne pleure plus… Il faut que tu m’oublies !

Un silence se fit dans l’ombre grandissante. Lyllian ne voyait plus que la silhouette mince du petit collégien et la tache d’or fauve de ses cheveux…

— Je t’ai aimé, continua Renold. Mais oui… sans pourtant savoir combien tu répondais à ma tendresse. Je voulais faire de toi un disciple, un adorateur de l’éphémère jeunesse, de la fragile beauté… Hélas ! je t’entraînais loin de l’aurore, vers le crépuscule et vers la nuit… écoute… Tu es si enfant que tu peux, sans peine, effacer un souvenir… Je t’ai aimé… Mais jamais nous n’aurions réaliser notre Amour !