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LORD LYLLIAN

— Et de la prudence, hein ? recommanda-t-il en partant. Encore quinze jours ou trois semaines…

— Soyez tranquille. Il ne se doute de rien. J’accepte ses pourboires…

 

Cependant, rêveur et triste, accoudé dans son fumoir contre des coussins de soie légère, Lyllian parlait au jeune grand duc Sacha de Livonie. À côté, dans les salons et dans la galerie, la soirée continuait.

Après avoir récité lui-même l’ « Invitation au voyage » et la « Mort des amants » Renold avait cédé la place à Maxet de la Comédie Parisienne, qui maintenant, entre deux mélodies de Grieg et des vers de Samain, disait les strophes mélancoliques de l’ « Hymnaire d’Adonis ».

— Voyez-vous, Altesse, murmurait Lyllian, je les ai réunis, comme vous m’avez fait la grâce de me le demander, pour dire adieu… publiquement… à leur passion, à leur souffrance, à leur souvenir. Aujourd’hui je les invite pour la dernière fois. Je ne les reverrai jamais… jamais plus.

— Quelle subite épidémie vous a conduit à ces in extremis, raillait presque le Grand Duc.

— J’ai assez vécu de cette vie-là, Altesse, pour en avoir compris les erreurs, les désillusions et les déchéances. La mort de celui qui m’y avait entraîné fut pour moi un avertissement salutaire, et un remède : je me sens guéri, bien guéri…

— Il doit y avoir autre chose…

— En effet… une jeune fille : un profond et nouvel amour.

— Ah !…

Il y eut un silence.