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LORD LYLLIAN

incarnait, et si cette qualification-là vous déplaît, vous en êtes encore à considérer le diable comme un sale type.

— Mon cher, vous parodiez Schopenhauer et Darwin. Le satanisme réduit, comme vous l’annonciez naguère, au culte matériel du moi… ? Cela me défrise ! J’aurais préféré que vous évoquiez les échoppes romantiques au fond desquelles les alchimistes, découragés par la pierre philosophale, s’amusaient à griller sur des fourneaux des crapauds et des enfants morts. Crocodiles empaillés, cornues, vieux juifs à lunettes, toiles d’araignées et des traités par Nicolas Flamel, incantations, nuits sans lune, sorcières et manches à balais… outre un succès probable au théâtre Corah Vieillard, vous m’auriez compté très bon public.

 

Ainsi causaient-ils. Le jour baissait rapidement. Dans le fumoir rempli de palmiers souples et de fleurs. Chignon n’écoutait plus qu’à peine. À demi renversé sur le sofa soyeux où lord Lyllian se plaisait à vaincre ses victimes, il regardait voluptueusement l’ombre envelopper la pièce. Des bruits étouffés de voiture et de crieurs de journaux venaient de l’avenue d’Iéna.

Lyllian, surpris lui aussi, par le recueillement familier de l’heure, s’était tu. Des pastilles aromatiques brûlaient lentement dans un vase.

— Si cela vous plaît, reprit le peintre, on pourrait ressusciter ici même, en pompeux appareil, la plus troublante des hérésies. Trêve de raisonnements, de digressions occultes, mon cher Lord. À propos de satanisme, vous rêviez de messe noire. Pourquoi ne point la célébrer ?