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MESSES NOIRES

nifeste entre leur devoir et leur désir, trop ignorants pour comprendre que l’homme le plus artificiel, le plus intellectuellement ascète ne parviendra jamais à la faire disparaître, ils oscillent dans l’ombre et dans la honte entre le ciel et le tombeau.

Les oiseaux ont beau chanter dans l’azur : ils n’entendent point la voix des oiseaux. La plaine embaume et les feuillages frémissent… ils ne verront pas d’un œil apaisé cette plaine exhaler ses parfums, ni ces douces branches frémir. Qu’une jeune fille ou qu’un joli garçon rieur passent sur leur chemin et qu’ils entrevoient des voluptés nouvelles, ils n’oseront point crier l’alleluia de leur cœur ! Je vous le dis en vérité, moi, mon cher Lord. Tout affreux matérialiste que je puisse vous paraître, il n’y a de loi, en ce monde, pour un homme, que sa volonté libre, naturelle et charnelle, et il n’y a de supérieur que l’instinct.

— Holà ! je vous arrête, anarchiste du bas-ventre ! Que vous réprouviez cette guerre du cerveau à l’estomac, que vous vous moquiez de ces gens qui, pour faire plaisir à un livre de messe, ou à un livre de morale jeûnent sur toute la ligne de leurs besoins vitaux, soit, j’accepte. Mais qu’allant d’un extrême à l’autre, vous catéchisiez l’unique règne de l’instinct et de la seule hérédité, sans laisser à l’esprit le soin de réglementer et de coordonner les aspirations de notre corps, ça, c’est trop, et je proteste… Le vieux dicton si cher à tous les présidents de distributions de prix demeure vrai, fût-il une scie : Mens sana in… vous savez le reste, voilà le juste milieu, voilà la balance qui nous rend, par son égalité, supérieurs aux animaux. Une sensation, c’est bien. Un sentiment, c’est mieux.