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MESSES NOIRES

composée moitié figue, moitié raisin, où dominaient les policiers.

Avec lui une petite jeune femme mince et blonde, aux grands yeux limpides et rêveurs dont le bas du visage était caché par un voile de soie. Je ne sais quel parfum étrange et capiteux d’Asie se dégageait d’elle. Elle ne demeura point avec Latrouille et vint s’asseoir à une place restée vide près des deux compères et de leurs Américains.

Bientôt la salle archi-comble s’anima sous l’influence de l’orgie. En était-ce une ? Henri IV se démenait. Latrouille regardait avec indulgence.

Dans l’air surchauffé qu’obscurcissaient encore les stries du tabac, des rires fusaient, des rires étranges et suraigus comme en poussent les fous ou les mourants. On se jetait des fleurs de table en table, pêle-mêle avec des confettis ou des coupes de champagne. Et c’étaient des minauderies puériles, ridicules pour la plupart, dont la jeunesse n’était point l’excuse.

Soudain un des plus ivres se leva, en sueur, congestionné, les cheveux trop longs lui balayant le visage, le visage gras sur lequel les fards dégringolaient. D’une voix atroce, éraillée comme celle des raccrocheuses, il entonna deux ou trois strophes d’une romance infâme. La salle l’accompagnait et chantait le refrain, en chœur. Certains, la tête couronnée d’un informe diadème, ressemblaient à des veaux évoquant l’abattoir.

Une femme, la seule peut-être de l’endroit, partit de colère et de honte, devant la concurrence, sans avoir pu trouver un apéritif.

Elle claquait les portes, criait, rageuse : oh là là, ces hommes, quelles garces !