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LORD LYLLIAN

de souliers démesurés, cherchait une table, ou faisait semblant.

En réalité, il ne quittait pas des yeux les tziganes parmi lesquels un jeune violon se contorsionnait, d’une façon inquiétante pour de chimériques princesses ou d’improbables Grands Ducs. Son compagnon, Benjamin d’une quinzaine d’années, ahuri par ces lumières ou par les regards dirigés sur lui, s’était réfugié tout près de la porte et cachait comme il pouvait sa figure à louer.

— Mais enfin, qu’avez-vous donc à fixer ces malheureux ? hasardait Skotieff égayé. Mon cher Lord, ils sont venus là pour quêter après la musique… Ils sont indignes de vous, et, d’ailleurs, ils ne font rien d’extraordinaire.

— Non… ils se choisissent un amant. Seulement je crois les reconnaître. Attendez, m’y voici. Vous rappelez-vous le bal Wagram ? le dernier mardi gras ?

— Non, je n’y suis jamais allé… encore un joli endroit où vous m’auriez mené sans doute ? une fête de famille où je retrouverais tous vos domestiques…

— Merveilleux, mon cher, — mais by jove, voilà qu’ils partent…

— Et sans pourboire.

— Quelle peste vous devenez, mon cher ! Revenons à l’histoire. Vous vous souvenez de la lettre que je vous écrivis il y a deux mois ? Je traversais une crise de prix Monthyon et je vivais alors en saint-ermite. C’était le château ancestral qui m’avait révolutionné ainsi avec ses grand-papas frissonnants qui me jugeaient du haut de leur cadre ; seul, là-dedans, je n’étais pas fier. Mes rancœurs m’étouffait. Bref, un saint ermite. Au bout de quinze jours je n’en pouvais