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MESSES NOIRES

dix ans. La glace était solide. Celui qui faisait la plus belle glissade se fiançait à la plus jolie fille qu’il connaissait. Si l’on tombait ou si la glace se brisait, on restait vieux garçon… Nous avions dix ans… Je demanderai à maman Elsa des nouvelles de ma fiancée…

Et puis, lorsque je suis parti, j’avais un petit jardin que je semais moi-même à chaque printemps. Dès que l’hiver était passé et que les grands froids n’étaient plus à craindre, j’écartais doucement la neige pour semer en terre de menues graines roses. Le printemps arrivait, qui fondait la neige à son jeune soleil. Et, vers le mois de juin, vous ne le croirez pas, j’avais les plus jolis bouquets de pervenches du pays. Cela m’enivrait. Le vent de la mer passait en les frôlant à peine, et le matin, à l’aurore, les abeilles qui se suspendent en lourds essaims dans les sapinières venaient bourdonner sur mon jardin avec une musique légère, un charmant bruit d’ailes ! Je demanderai à maman Elsa des nouvelles de mon jardin…

» Elle me jouera du Grieg, aussi, du Svensen, du Hartög… Hartög est plus mélancolique et moins connu que Grieg. Maman Elsa a des mains mignonnes, comme celles des fées… Si vous saviez comme elle brode de jolies dentelles sur le piano… un air surtout… un air à nous, du vieux village, qu’elle a arrangé doucement…

Il haletait. Un flot de sang montait à ses lèvres. Il y porta un mouchoir de soie rouge où l’écume navrante ne se voyait plus.

— Il faut que je vous en donne une idée, reprit-il subitement, et d’abord je vais tellement mieux : La vieille Beppina n’est pas là. Sautons du lit.

— Mais vous n’êtes pas raisonnable, déclarait Lyl-