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LORD LYLLIAN

— À moins qu’il ne les arrose d’un tas de cocktails extraordinaires…

— Bref, je me cogne contre mon Ansen. Il marchait la tête inclinée, les yeux vers la terre. Un chic à lui… Un enfant qui aurait chipé des confitures… Surprise… excuses… Il me regardait avec des yeux… Je les ai sentis derrière moi fixés sur le petit Lord qui s’en allait dans un frou-frou de soie, comme une jolie femme… Le lendemain, j’avais sa carte avec encore des excuses. Puis les liaisons à l’hôtel se font comme un échange d’odeurs dans un garde-manger. Du tic au tac ce furent des saluts aux repas, des poignées de main au jardin, un doigt de liqueur pris ensemble sur la terrasse. Je sentais où il voulait en venir, le bonhomme, mais il n’osait pas. Il avait conservé son air timide, il avait perdu son air railleur. Un soir — ces choses-là, avez-vous remarqué, ça se pratique le soir, comme les crimes — il m’offrit de faire un tour jusqu’à la mer. On voyait l’Etna, paraît-il, vomir ses fumées rouges à l’horizon d’or…

Et, de fait, il m’emmena presque au bord de la mer. J’étais ému d’une façon sentimentale et bête. Il m’avait comme transfusé son âme, ce diable de garçon. D’abord et pour la première fois j’avais éveillé un jeune désir, ce qui est beaucoup plus flatteur — mille excuses — que de lever un monument public comme vous. Ensuite, sais-je, le crépuscule, l’étrangeté du spectacle vraiment merveilleux, avec la mer illuminée par cette éruption lointaine, le parfum aussi, le parfum énivrant des fleurs orientales…

Il m’emmena jusqu’au rivage. De petites vagues y mouraient avec un bruit très doux. On aurait cru la caresse d’un baiser…